Présentation orale du Mémoire sur l’avenir de l’information régionale
Je me présente, Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC), et mon collègue, M. Pierre Roger, secrétaire général et trésorier de la FNC. Nous vous remercions de bien vouloir nous entendre sur la question de l’information, et plus particulièrement sur l’avenir de l’information régionale.
La Fédération nationale des communications est une organisation syndicale affiliée à la Confédération des syndicats nationaux (CSN). Elle regroupe plus de 88 syndicats et environ 6000 travailleuses et travailleurs issus du milieu des communications et de la culture. La FNC est présente dans la plupart des grands médias du Québec et représente la très grande majorité des journalistes salariés et des journalistes indépendants du Québec. Nous avons également des syndicats en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Parmi quelques-uns des médias où nous sommes présents, citons entre autres Radio‑Canada, La Presse, les journaux du Groupe Capitales Médias, Le Devoir, le Journal de Montréal, Transcontinental, TVA, Cogeco, l’Acadie-Nouvelle et bien d’autres. Nous représentons des gens issus de la presse écrite, de la télévision, de la radio, et de plus en plus, des médias numériques.
Dans le mémoire que nous vous déposons, nous abordons les multiples enjeux auxquels est confronté le secteur de l’information. De façon structurelle, les médias traditionnels font face à des difficultés financières qui entravent leur mission première qui est celle d’informer. Certes, l’arrivée d’Internet, associée aux changements technologiques, a facilité l’accès à l’information et offre une opportunité de multiplier les publics.
La tendance à utiliser les médias numériques et les réseaux sociaux, qui sont pour la plupart gratuits, est de plus en plus répandue. Néanmoins, ces sources d’information, qui privent les médias traditionnels d’une part importante de leurs revenus sont surtout des plateformes de diffusion plutôt que des producteurs d’information. Cette situation, qui remet en cause le modèle d’affaires des médias traditionnels, implique de toute évidence une crise de l’information, qui risque à terme de se transformer en une crise de la démocratie.
Associées à ces profondes mutations, les stratégies de concentration et de convergence, qui prédominent dans le secteur des médias, en renforçant la commercialisation de l’information, mettent en danger sa qualité et sa diversité. Trop souvent, ce sont les faits divers, l’anecdotique et le sensationnel qui ont la cote et dont le but premier de l’information est de plaire. Il faut à tout prix accroître l’auditoire, seul capable d’augmenter les revenus. Il va sans dire qu’un tel environnement précarise le travail du journaliste. Ce dernier, évoluant en mode multitâche et multiplateforme, assiste à un alourdissement de sa charge de travail. Quant au journaliste indépendant, avec cette forte concentration de l’industrie, il ne dispose d’aucun moyen de négocier ses conditions de travail. Son indépendance et son intégrité sont plus que jamais mises à rude épreuve.
La FNC invite, dans le cadre de cette consultation, nos dirigeants à redéfinir leur vision des médias. Comme la plupart des pays occidentaux le font actuellement, nos différents paliers de gouvernement ont l’obligation d’intervenir pour préserver et améliorer l’accessibilité, la qualité et la diversité de l’information.
Nous souhaitons vous présenter dix recommandations qui, nous croyons, apporterons le soutien nécessaire afin d’assurer que les médias pourront continuer de jouer leur rôle de 4e pouvoir.
Recommandation 1
La FNC-CSN croit que la mise en œuvre de moyens pour financer la production d’une information de qualité et diversifiée est rendue nécessaire au Canada et au Québec. Toutes les hypothèses de financement doivent être mises sur la table. Nous privilégions particulièrement les crédits d’impôt sur la masse salariale. Une mesure de ce type permettrait aux entreprises médiatiques aux prises avec des difficultés économiques de maintenir les effectifs ou mieux d’embaucher des journalistes afin d’améliorer la pluralité et la diversité de l’information. De la même façon, ce genre de mesure permettrait également d’embaucher davantage de représentants publicitaires ou encore des spécialistes dans les nouvelles technologies.
Recommandation 2
Le gouvernement fédéral doit travailler à la mise en place d’un fonds permanent pour la programmation et la production locale et régionale afin de permettre aux médias d’accentuer leur présence en région. Des fonds doivent être dédiés à la production d’information régionale.
Recommandation 3
CBC/Radio-Canada doit être mise à contribution dans la production d’une information locale et régionale de qualité. La Société d’État doit accentuer sa présence régionale. Pour ce faire, elle doit bénéficier d’un financement beaucoup plus soutenu et surtout d’une direction beaucoup plus engagée et sensible à la réalité régionale.
Recommandation 4
Pour faciliter l’accès à la population à cette information de qualité et diversifiée, particulièrement en régions éloignées des grands centres, le service haute vitesse doit être reconnu comme service essentiel.
Recommandation 5
Le gouvernement doit mettre en place des programmes de subventions afin de soutenir les innovations sur les plateformes numériques. Des programmes semblables existent déjà pour les entreprises culturelles. Nombre de petits médias n’ont pas les ressources financières pour développer de meilleures applications en ligne. Alors que le public migre de plus en plus vers le Web, les médias doivent pouvoir l’y retrouver avec des plateformes alléchantes, innovantes et performantes.
Recommandation 6
Cette tourmente dans laquelle se trouvent nos entreprises médiatiques commande à nos dirigeants de constituer un groupe de travail sur la règlementation des multinationales du Web. Il s’agit de trouver les outils adéquats pour protéger, à l’ère du numérique, notre production de contenus locaux. Nos dirigeants ont en outre l’obligation d’exiger de ces géants, qui exploitent des marchés publicitaires lucratifs locaux et nationaux, qu’ils contribuent au financement de la production et de la diffusion d’une information de qualité et diversifiée liée à ces marchés. Ils doivent également se soumettre aux règles fiscales des pays dans lesquels ils exercent leurs activités.
Recommandation 7
Sans attendre, nos gouvernements fédéral et provincial ont la responsabilité de s’attaquer au problème de concentration et de convergence dans l’industrie des médias. Des contraintes claires doivent être imposées aux entreprises médiatiques afin de limiter l’ampleur de certaines de leurs stratégies qui mettent à mal la qualité et la diversité de l’information. Il est en outre important de mettre en œuvre un meilleur encadrement des médias et de leur responsabilité d’informer. Autrement dit, tant au niveau local, régional que national, nos dirigeants doivent répondre à l’urgence de protéger la diversité des voix.
Recommandation 8
La FNC-CSN croit qu’il est nécessaire de revoir en profondeur le rôle et la gouvernance du CRTC. À notre avis, les règles de nomination des conseillers doivent être revues. Les gens qui siègent au CRTC ne devraient pas s’y retrouver par partisanerie politique. L’intervention directe du gouvernement Harper lorsque le CRTC s’est fait demander par des gens de l’industrie de règlementer les géants du Web a été particulièrement disgracieuse. Le CRTC doit exister pour s’assurer que les détenteurs de licences se conforment aux conditions qui leurs sont données, encore plus pour ce qui est de l’information. Le CRTC doit être également mis à contribution dans la réflexion qui se fait sur la façon de légiférer et règlementer le Web et sur les moyens à mettre en œuvre pour protéger l’industrie médiatique locale et nationale.
Recommandation 9
Nous pensons que les différents paliers gouvernementaux doivent faire un effort afin d’investir leurs budgets publicitaires en premier dans les médias canadiens et québécois. Bien que nous sommes conscients qu’il est possible de rejoindre un vaste public grâce aux réseaux sociaux, il est insensé que l’argent de nos taxes et impôts se retrouve entre les mains de multinationales qui refusent de se soumettre aux règles fiscales et qui ne contribuent d’aucune façon ni à l’information, ni à la production de contenu culturel canadien et québécois.
Recommandation 10
Alors que les réseaux sociaux prennent de plus en plus d’ampleur, nous croyons que le gouvernement fédéral doit travailler avec ses partenaires provinciaux afin de mettre sur pied des programmes d’éducation sur les médias. Les citoyens doivent être en mesure de faire la différence entre des informations provenant de sources fiables et les « fausses nouvelles ». Ils doivent également pouvoir distinguer le contenu publicitaire ou promotionnel qui franchit de plus en plus les limites du contenu rédactionnel. Bref, vu l’éclatement des frontières sur le Web, le rôle des journalistes professionnels doit être expliqué et mis en évidence.
Vous devez savoir que nous avons discuté de ces pistes de solution avec plusieurs patrons d’entreprises médiatiques au Québec ainsi qu’avec nos exécutifs syndicaux et nos membres. Bien qu’il soit impossible d’obtenir l’unanimité sur les approches à adopter, nous sentons qu’un consensus clair émerge du milieu. Il y a urgence d’agir. Plusieurs mesures, particulièrement celles de nature économique, peuvent être envisagées de manière temporaire afin de permettre aux entreprises de prendre entièrement le virage numérique et de bâtir de nouveaux modèles d’affaires qui assureront la pérennité de l’information.
Alors que nos sociétés se complexifient toujours plus et que les réseaux sociaux participent à la polarisation des idées, nos médias doivent être en mesure de continuer à produire une information de grande qualité, sur des plateformes attrayantes afin de s’assurer que les citoyens soient exposés à une pluralité de points de vue. Nous vous remercions de nous avoir entendus et nous demeurons disponibles pour répondre à vos questions.