Alors que l’Assemblée nationale fait son cirque autour de la « motion Péladeau », la seule vraie préoccupation que devraient avoir les élus, dans cette société démocratique qui est la nôtre, est celle de protéger le public et de lui garantir son droit de recevoir une information de qualité, diversifiée et plurielle. Or, pour toutes les fois que la question s’est posée devant nos élus, et cela s’est produit à plusieurs reprises au cours des dernières décennies, un seul constat émane : il n’y a eu à ce jour aucune volonté politique de confirmer et de protéger ce droit. Quebecor ne détient pas environ 40 % des médias québécois depuis hier. C’est un empire qui s’est construit pendant des décennies sans aucune intervention sérieuse sur les problématiques de la concentration de la presse, de la convergence et de la propriété croisée. Que cela pose un problème accru maintenant que Pierre-Karl Péladeau est un élu qui aspire aux grands honneurs, nous en convenons, mais la Fédération nationale des communications (FNC–CSN) s’est aussi écriée lorsque Quebecor a annoncé qu’elle retirait ses entreprises du tribunal d’honneur qu’est le Conseil de presse du Québec (CPQ) ou encore lorsqu’elle s’est mise à imposer à ses journalistes pigistes des contrats de travail indécents tant sur l’aspect des tarifs que sur le non-respect des droits d’auteurs et moraux.

Problème médiatique québécois
La vérité est que toutes les instances de notre société ont toléré pendant de trop nombreuses années les comportements délinquants de Quebecor avec PKP à sa tête. Rappelons qu’il détient le record de lock-out et de conflits de travail au Québec et que ces derniers ont complètement vidé de son sens juridique les notions d’établissement et d’anti-briseurs de grève prévues au Code du travail.

Il serait toutefois injuste de faire porter uniquement à Quebecor l’état lamentable dans lequel se retrouve notre univers médiatique au Québec. Après tout, l’empire s’est simplement comporté comme toute autre entreprise dont l’objectif principal est le profit, qu’il soit engrangé par sa structure ingénieuse, dans laquelle chaque entreprise joue un rôle permettant d’augmenter la performance de la machine, ou carrément sur le dos de ses employés qui ont vu leurs conditions de travail diminuer ou stagner. Et Quebecor, bien qu’elle soit à l’avant-plan de l’actualité ces jours-ci avec le problème éthique que pose la montée en force de Pierre-Karl Péladeau dans le paysage politique, n’est qu’une des composantes du problème médiatique québécois.

Nous croyons donc que le gouvernement doit considérer les médias non pas comme d’ordinaires entreprises, mais comme des organes essentiels à la vie démocratique. En ce sens, nous pensons que des actions concrètes à plusieurs niveaux sont désormais inévitables et l’affaire Péladeau n’en aura qu’illustré plus concrètement la nécessité.

Pour une loi-cadre de l’information
Nous plaidons depuis de nombreuses années pour une loi-cadre de l’information qui oui limiterait la concentration de la presse, la convergence, la propriété croisée et la propriété étrangère des médias, mais aussi qui délimiterait des balises importantes afin d’assurer la qualité de l’information dans les médias et d’affirmer la primauté du droit à l’information et de la liberté d’information.

Ainsi, nous sommes d’avis que l’adhésion au Conseil de presse et à son code d’éthique devrait être obligatoire pour toute entreprise médiatique et que le mandat de celui-ci devrait être renforcé.

La loi-cadre sur l’information devrait également comprendre des prémisses de normes réglementaires et des pouvoirs d’ordonnance. D’autres notions comprises dans cette loi devraient concerner la protection des sources journalistiques (Patrick Lagacé de La Presse et son aventure récente avec la Sureté du Québec en est un exemple éloquent) ainsi que la protection du droit d’auteur (la volonté du gouvernement Harper de se servir de textes journalistiques à des fins électorales en démontre la nécessité).

Et pour les journalistes indépendants
De plus, il est urgent de doter les journalistes indépendants d’une loi similaire à celle du statut de l’artiste qui leur permettrait de négocier collectivement des conditions de pratique minimales. En effet, le tarif au feuillet n’a pas augmenté depuis les années 80, alors que le coût de la vie lui n’a cessé de grimper, contribuant ainsi à leur appauvrissement, mais aussi à leur difficulté d’exercer librement et pleinement leur travail. De plus, les propriétaires de presse cherchent de plus en plus à leur faire céder leurs droits moraux sur leurs œuvres afin de pouvoir utiliser leur matériel sur toutes leurs plateformes sans verser de redevances et sans respecter les principes de base du droit d’auteur.

Difficultés économiques et concentration de la presse
Et enfin, une réflexion en profondeur s’impose sur les difficultés économiques auxquelles font face les entreprises de presse. En ce qui concerne la presse écrite du moins, leurs principales sources de revenus reposent entièrement sur les abonnements et les publicités. Or, le phénomène de la gratuité, tant sur le net que sur papier, prend de plus en plus d’importance, en plus de la tarte de revenus publicitaires des médias traditionnels qui s’effrite d’année en année. Cette double diminution de revenus rend les médias plus vulnérables face aux pressions des annonceurs qui empiètent de plus en plus sur le contenu et aux aléas du marché financier qui, on l’a vu avec la crise économique de 2008-2009, ont également un impact sur les investissements en publicité. Devant ce phénomène, le désir de concentrer encore plus les propriétés médiatiques entre les mains de gros joueurs aux reins solides est encore plus fort et, par le fait même, le droit du public à une pluralité des voix devient secondaire.

Que PKP vende ou ne vende pas ses actions dans Quebecor, les problèmes qui gangrènent les médias ne seront pas pour autant résolus. Sa présence à l’Assemblée nationale pose un problème éthique depuis le jour où il a annoncé sa candidature. Évidemment, un propriétaire de média ne devrait pas être simultanément un politicien. Mais même sans être au gouvernement, un seul homme ne devrait pas avoir entre les mains autant de pouvoir que celui que lui procure l’empire Quebecor. Et aujourd’hui, s’il vendait ses actions, qui pourrait s’acheter un tel monstre? Possiblement seulement de gros joueurs tels que Bell, Transcontinental ou Power Corporation, qui eux-mêmes détiennent déjà trop de médias. L’autre option est le démantèlement de l’empire, ce qui pose un bon nombre d’autres problèmes tels que la capacité individuelle de chaque entreprise de survivre par elle-même. Voilà la belle affaire!

Protéger le droit à une information de haute qualité
Bref, le laisser-aller des gouvernements, les transformations technologiques, le comportement délinquant de certaines entreprises de presse et la crise structurelle des médias constituent la conjoncture idéale pour le désastre que crée l’affaire Péladeau. Plutôt que la partisanerie politique habituelle, nous espérons que le gouvernement se comportera de façon responsable en s’entourant d’experts sur les médias qui l’aidera à agir afin de protéger le droit suprême du citoyen à avoir accès à une information de haute qualité, diversifiée et plurielle, faute de quoi, c’est notre démocratie qui est en danger.

Pascale St-Onge, secrétaire générale
Fédération nationale des communications (FNC–CSN)