On ne les compte plus : semaine après semaine, les annonces faisant état de réductions de personnel, de faillites et de fermetures au sein du secteur de l’information se multiplient. Alors que certains croyaient encore que la crise n’affectait que la presse écrite et son âge de papier, les annonces de l’abolition de centaines de postes, de TVA à Bell Média, auront démontré le contraire : tous les médias sont malheureusement touchés, radio et télé incluses.

Seulement au Québec, au cours des dix dernières années, les médias d’information auront vu 75 % de leurs revenus publicitaires être aspirés par les barbares du numérique. Une perte de 800 millions.

Manifestement, le système, par l’entremise duquel l’accès à l’information était assuré, est rompu. Et devant la hauteur du manque à gagner, seuls nos gouvernements ont la capacité structurante d’y remédier.

Renforcer le crédit d’impôt aux salles de rédaction

Dans le cadre de son prochain budget, Québec doit impérativement renouveler le crédit d’impôt à la masse salariale de la main-d’œuvre journalistique. Mais si ce mécanisme a été pertinent pour soutenir la presse écrite depuis 2019, force est de constater qu’il s’avère aujourd’hui insuffisant.

Exclues du programme, les salles de rédaction télé et radio doivent dorénavant pouvoir en bénéficier pour leur personnel travaillant à la production de contenus journalistiques. Tout aussi touchées par la perte de revenus (125 millions en télé, 65 millions en radio), les salles de rédaction de ces médias, particulièrement en région, voient leur effectif être constamment réduit.

L’hécatombe est encore bien pire du côté de la presse écrite, comme en témoignent la fermeture de nombreux hebdos régionaux, la faillite de Métro Média et le processus de rationalisation à la CN2i. La presse écrite n’ayant d’autre activité principale que la production de contenus d’information, nous demandons que le crédit d’impôt soit étendu à l’ensemble des emplois nécessaires au fonctionnement de l’entreprise.

Tant Ottawa que Québec doivent, dans leur budget respectif à venir, renforcer le programme de crédit d’impôt en fonction de l’urgence de la situation.

Un infofrais pour soutenir l’information

L’arrivée des géants du Web a complètement chamboulé la façon par laquelle nous consultons l’information et y avons accès. Au même titre que le gouvernement du Québec a l’obligation de préserver notre culture dans ce nouvel univers, il a la responsabilité que les citoyennes et les citoyens puissent avoir accès à des contenus d’information produits ici.

Alors que le ministre Mathieu Lacombe se penche actuellement sur la question, nous suggérons l’instauration, par le gouvernement du Québec, d’un fonds réservé et récurrent financé par l’instauration d’un infofrais de 2 % appliqué sur les achats d’appareils munis d’un écran (téléphones, tablettes, ordinateurs) ainsi que sur les services Internet et mobiles. À l’échelle du Québec, une telle redevance entraînerait des revenus de l’ordre de 200 millions par année.

D’intéressants précédents existent : qu’on pense aux redevances chargées sur les cassettes vierges, VHS ou audio, instaurées pour soutenir les créateurs à l’époque où le piratage commençait à faire rage. Ou encore à l’écofrais perçu au Québec afin de prévoir la fin de la vie utile des batteries ou d’autres produits électroniques.

Bien évidemment, les paramètres de ce fonds de soutien à l’information restent à être établis, de façon collégiale, par l’ensemble des acteurs du milieu, tout comme ses mécanismes de reddition de compte et les objectifs précis auxquels il devra s’atteler. D’emblée, ceux-ci nous paraissent nombreux, que ce soit pour soutenir les médias menacés de disparition, pour contrer l’apparition de déserts médiatiques en région, pour s’attaquer à la désinformation ou encore pour répondre aux défis entraînés par la dislocation des réseaux de distribution.

Pour une politique gouvernementale d’achat publicitaire

Les annonceurs du secteur privé ayant déserté les médias d’information devraient bénéficier d’incitatifs pour y revenir : ainsi faudrait-il qu’ils puissent déduire de leurs impôts le double de leurs dépenses effectuées auprès de médias d’information locaux et qu’ils ne puissent plus déduire l’argent dépensé auprès des géants étrangers délinquants. À portée de main des gouvernements du Québec et du Canada, de telles mesures favoriseraient la canalisation des budgets publicitaires vers nos médias d’information.

Mais la véritable question demeure celle-ci : combien de ministères et d’organismes publics, tous paliers de gouvernement confondus, continuent de faire du placement publicitaire auprès d’une société qui, après avoir disloqué notre secteur de l’information, continue à se comporter comme une véritable brute face à une loi dûment adoptée par nos parlementaires?

Devant l’ampleur de la crise, nos gouvernements – y compris les villes! – doivent cesser de tergiverser : qu’ils adoptent une réelle politique d’achat publicitaire responsable en appui à nos médias d’information et qu’ils cessent de transiger avec ces barbares qui refusent de se conformer aux règles fiscales en vigueur au Canada.

Alors que les travailleuses et les travailleurs de l’information ne cessent de jouer eux-mêmes les canaris de la mine, le Forum économique mondial reconnaissait, le mois dernier, que la désinformation se hissait en tête de liste des menaces planétaires. Quand les salles de rédaction disparaissent les unes après les autres, c’est notre accès à une information locale, rigoureuse et diversifiée qui recule. C’est notre démocratie qui décline dangereusement. Il est encore temps de se ressaisir. Et de répondre à la hauteur de la crise qui sévit.

Caroline Senneville, présidente de la CSN
Annick Charette, présidente de la Fédération nationale des communications et de la culture–CSN